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Professeur Ronan Thibault : améliorer l’alimentation des personnes dénutries et à risque de dénutrition, à domicile et à l’hôpital

D’après la Société Francophone de Nutrition Clinique et Métabolisme, aujourd’hui en France, deux millions de patients sont touchées par la dénutrition dont 400 000 personnes âgées à domicile et 270 000 en EHPAD (Lutte contre la dénutrition, 2021). Les conséquences de cette maladie sont diverses : infections, fonte de la masse musculaire, altération des fonctions physiologiques, etc.

Lactalis Ingredients s’est intéressé à ce sujet et a interrogé le Professeur Ronan Thibault, professeur des universités et praticien hospitalier à l’université de Rennes et au CHU de Rennes, responsable de l’unité de Nutrition, et chercheur à l’institut Nutrition Métabolismes Cancer, INSERM, INRAE, université de Rennes.

 

[Question] Selon vous est-ce qu’il y a des pathologies qui sont le plus souvent liées à la dénutrition ?

[Réponse] De manière générale, on peut dire que la dénutrition peut toucher n’importe qui. Le plus souvent des personnes ayant une maladie aiguë ou chronique et les patients peuvent être hospitalisés ou à domicile. De manière générale, 30 à 40 % des patients hospitalisés sont dénutris. Cependant c’est une maladie qui est encore insuffisamment reconnue.

Pour ces patients, on a souvent recours à la nutrition artificielle, c’est-à-dire entérale ou parentérale. Cependant, toutes les dénutritions ne sont pas forcément traitées par la nutrition artificielle.

Les recours à la nutrition artificielle sont surtout en oncologie (digestive et ORL), que ce soit l’oncologie médicale ou chirurgicale. Ensuite, il y a les séquelles d’AVC et toutes les maladies neurologiques. Ces maladies sont de grands pourvoyeurs de dénutrition. Enfin la dénutrition au sens large comprend également les personnes âgées de plus de 70 ans. Avec le vieillissement de la population, il y a finalement une proportion importante de personnes dénutries.

 

[Q] Avec cette évolution des caractéristiques de la population et notamment son vieillissement, est-ce qu’il y a un potentiel plus important de patients qui pourraient être diagnostiqués ?

[R] On a effectivement de plus en plus de patients dénutris. Je pense notamment aux patients sortant de réanimation ou avec des maladies chroniques. Avec tous les progrès qui ont été faits, aujourd’hui on prolonge la vie de patients qui seraient décédés il y a 20 ans, mais aux détriments de séquelles nutritionnelles, de masse musculaire diminuée, donc de dénutrition. Il faut qu’on soit meilleur et ne pas considérer que le patient est guéri uniquement parce qu’il s’est sorti de la réanimation. Le patient sort de réanimation mais il n’a plus de muscles, il est fatigué et il a une qualité de vie médiocre. Il faut qu’on aide ces patients à retrouver une vie normale. Je pense qu’effectivement on va avoir un potentiel de patient dénutris plus importants et c’est pour cela que mes collègues et moi nous en soucions plus. On sait que l’état de santé de nos malades dépend de leur état nutritionnel aussi.

Finalement, on peut dire que le vieillissement de la population ajouté aux progrès de la médecine favorise la dénutrition des personnes.

 

[Q] Quels ont été les différents moyens mis en place ces dernières années pour palier la dénutrition ?

[R] Au CHU de Rennes, le dépistage de la dénutrition se fait à l’entrée du patient. Les infirmières vont le peser et vont évaluer sa prise alimentaire avec le SEFI (le Score d’Evaluation Facile des Ingesta, www.sefi-nutrition.com). En fonction de ces paramètres, si un risque de dénutrition est mis en évidence, un diagnostic va être proposé. On fait le diagnostic et on propose un traitement nutritionnel.

dénutrition

Une fois le diagnostic posé, on peut proposer des Compléments Nutritionnels Oraux (CNO) si la dénutrition est modérée ou si, pour différentes raisons, la nutrition entérale n’est pas l’option thérapeutique retenue.

On a aujourd’hui une gamme assez large de CNO avec une diversité de produits (soupes, crèmes, yaourts, jus, boissons…). Il existe cependant une limite à donner des CNO, c’est l’observance. Certains patients sont écœurés et ne vont pas consommer ces produits. C’est une situation assez fréquente, qui devrait nous inciter à choisir la nutrition entérale, plus que ce n’est fait actuellement.

Mais avant de recourir à des CNO, donner une alimentation enrichie, hyper protéinée et hyper énergétique, à des patients qui arrivent à l’hôpital paraît être la première ligne de traitement pour prévenir la dénutrition. C’est ce que nous avons mis en avant dans les dernières recommandations européennes de l’ESPEN (société Européenne de nutrition Clinique et métabolisme) concernant l’alimentation à l’hôpital.

 

[Q] Comment pourrions-nous faire pour enrichir l’alimentation à l’hôpital ?

[R] Je pense qu’on peut déjà améliorer la qualité des aliments et leur densité énergétique pour les patients hospitalisés. On devrait leur donner de plus petites portions et plus fréquemment. Cependant c’est une solution qui coûte plus chère, qui bouscule les organisations, et qui n’est pas facile à mettre en place.

Pour les patients à domicile, les politiques de prévention de la dénutrition pourraient également passer par l’enrichissement en protéines de plats qu’on pourrait trouver dans le commerce.

 

[Q] On parlait d’observance, est-ce qu’enrichir en protéines et en énergie les aliments de base favorise l’observance ?

[R] Oui on peut travailler sur l’observance d’un point de vue qualitatif pour les gens qui consomment les produits, mais pour certains c’est difficile car je pense que les portions que l’on sert à l’hôpital sont trop importantes. Quand on est malade et que l’on n’a pas faim, voir une assiette pleine coupe l’appétit. Il faudrait pouvoir servir la même chose en termes d’équilibre nutritionnel, mais mieux réparti dans la journée, manger moins mais plus souvent. Cela améliorerait la consommation alimentaire des patients.

Pour les personnes âgées en EPHAD, il faut prendre en compte que même si elles consomment de plus petites portions, il faut leur donner un peu plus d’énergie et de protéines. Il faut donc pouvoir profiter de chaque prise alimentaire pour leur donner des nutriments supplémentaires.

 

[Q] Quels sont les avantages d’une prise en charge précoce avec les Compléments Nutritionnels Oraux et comment la favoriser ?

[Pr. Thibault] Pour favoriser la prise en charge, il faut faciliter l’observance. Cela commence en formant les soignants de ville et à l’hôpital, parce que souvent les CNO sont mal délivrés à l’hôpital. Les médecins ne prennent pas le temps d’expliquer ces choses-là. Les pharmaciens d’officine sont peut-être les acteurs les mieux informés.

Pour renourrir les CNO doivent être donnés sur minimum 3 mois. Pour que les patients ne se lassent pas et donc pour favoriser leur prise en charge, il faudrait alterner les parfums et les formats.

Pour en savoir plus sur la diversification des CNO, Lactalis Ingredients recommande l’article suivant : Diversifier votre offre de Compléments Nutritionnels Oraux en jouant sur la texture.

 

[Q] Que recherchez-vous le plus dans un produit de nutrition clinique ?

[R] Le goût et l’appétence vont être importants pour atténuer la lassitude et pour que la consommation soit soutenue sur minimum 3 mois.

On recherche également une composition équilibrée entre les protéines, les glucides, les lipides et les micronutriments. Chez la personne âgée par exemple, la vitamine D est très importante pour la santé musculaire, les omégas 3 également. Il faut donc augmenter les apports dans les CNO pour limiter le risque de déficits.

Le format : il faut faire des portions un peu plus petites, mais les donner plus souvent pour faciliter la consommation chez certains, notamment à l’hôpital.

Pour les plats courants qui ne sont pas des CNO, il pourrait être intéressant d’avoir plus de protéines. On pourrait par exemple encapsuler certaines protéines pour ne pas sentir leur goût mais qu’elles soient ensuite libérées dans l’estomac ?

 

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Auteur : Professeur Ronan Thibault

Ronan Thibault est médecin hépato-gastro-entérologue et nutritionniste et docteur en Sciences de la Vie, et professeur en Nutrition. Il est actuellement responsable de l'unité Nutrition, du centre labellisé de nutrition parentérale à domicile, et président du Comité de Liaison Alimentation Nutrition au CHU de Rennes, et responsable de l’enseignement de la Nutrition en Santé à l’Université de Rennes. Il est membre du Conseil Scientifique de la Faculté de Médecine. Il a supervisé 25 travaux de thèse ou master pour des diplômes scientifiques ou médicaux. Il a reçu au total 2,2 millions d'euros de subventions pour 16 projets de recherche en tant qu’investigateur principal ou associé. Ses intérêts de recherche sont : la nutrition humaine, l'alimentation et la dénutrition hospitalière, la composition corporelle, la nutrition artificielle en réanimation, le métabolisme intestinal. Il effectue ses recherches à l'Institut NuMeCan (Nutrition Metabolism Cancer), INSERM, INRAE, Univ Rennes. Le Pr Thibault a été membre permanent du comité scientifique de la société européenne de nutrition clinique et métabolisme (ESPEN) et a été président du comité éducationnel de la société francophone de nutrition clinique et métabolisme (SFNCM), et membre de son Conseil d’Administration. Il est l'auteur de 150 publications dans des revues scientifiques nationales et internationales et des livres.